CONSEIL D’ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
LE PRÉSIDENT DE LA VIe CHAMBRE SIÉGEANT EN RÉFÉRÉ
A R R Ê T
no 247.995 du 3 juillet 2020
A. 230.744/VI-21.755
En cause :
la société anonyme I’LL BE BAG,
ayant élu domicile chez
Me Emmanuel VAN NUFFEL, avocat,
avenue Louise 81
1050 Bruxelles,
contre :
l'État belge, représenté par le ministre de la Défense,
Parties intervenantes :
1. la société anonyme TWEEDS & COTTONS
ayant élu domicile chez
Me Philippe LEVERT, avocat
Rue Defacqz, 78/80
1060 Bruxelles
2. la société anonyme de droit luxembourgeois AVROX,
ayant élu domicile chez
Mes Valentijn DE BOE et Toby DE BACKER, avocats,
avenue de Tervueren 2
1040 Bruxelles.
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I. Objet de la requête
Par une requête introduite le 21 mai 2020, la société anonyme l’LL BE
BAG, demande :
« • La suspension, selon la procédure d’extrême urgence, de l’exécution de la
décision du 5 mai par laquelle la partie adverse rejette son offre et attribue,
semble-t-il, à la n.v. Cotton&Tweeds et à la société de droit luxembourgeois
Avrox le contrat-cadre relatif à la fourniture de masques buccaux réutilisables en
étoffe (Community masks) qu’elle a passé par procédure négociée sans publicité
[ …] »
Par la même requête, la requérante sollicite l’annulation « de cette
décision, ainsi que l’annulation de la décision de date inconnue par laquelle la partie
adverse (Conseil des ministres ou ministère de la défense à supposer qu’il en ait reçu
la délégation), a décidé de passer le marché par procédure négociée sans publicité ».
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II. Procédure
Il est fait application de l’arrêté royal n° 12 du 21 avril 2020 concernant
la prorogation des délais de procédure devant le Conseil d’État et la procédure écrite
et des arrêtés royaux des 4 mai 2020 et 18 mai 2020 prorogeant certaines mesures
prises par l'arrêté royal n° 12 du 21 avril 2020 précité.
Une ordonnance n° 1223 du 26 mai 2020 a fixé les règles procédurales
applicables à l’examen du présent recours.
La note d’observations et le dossier administratif ont été déposés.
Par deux requêtes introduites le 5 juin 2020, la société anonyme
TWEEDS & COTTONS et la société anonyme de droit luxembourgeois AVROX
demandent à être reçues en qualité de parties intervenantes.
Les parties ont déposé des notes complémentaires et ont été invitées à
communiquer leurs éventuelles dernières observations pour le 17 juin 2020 à 16
heures.
À la suite de la communication de l’avis écrit de M. Christian
AMELYNCK, premier auditeur chef de section au Conseil d’État, les débats ont été
clos et l’affaire a été mise en délibéré.
Par un arrêt n° 230.840 du 19 juin 2020, notifié par courriel aux parties
à 10h14, le Conseil d’État a accueilli provisoirement les requêtes en intervention
introduites par la SA TWEEDS & COTTONS et la SA AVROX et ordonné la
réouverture des débats pour permettre à ces deux parties de déposer, chacune pour
ce qui la concerne, des dernières observations répliquant aux derniers arguments de
la requérante, au plus tard pour le vendredi 19 juin à 18h00.
La première partie intervenante a d’emblée fait savoir qu’elle ne
répondrait pas aux dernières observations de la requérante. La deuxième partie
intervenante a, peu avant 18h00, envoyé ses dernières observations et communiqué
une pièce à ajouter à son dossier.
Monsieur Christian AMELYNCK, premier auditeur chef de section au
Conseil d’État, a ensuite émis un avis écrit, conforme au présent arrêt.
À la suite de la communication de cet avis aux parties, le 19 juin 2020 à
18h58, les débats ont été clos et l’affaire a été mise en délibéré.
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Il est fait application des dispositions relatives à l’emploi des langues,
inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le
12 janvier 1973.
III. Intervention
Par des requêtes distinctes introduites le 5 juin 2020, la société anonyme
TWEEDS & COTTONS et la société anonyme de droit luxembourgeois AVROX
demandent à intervenir dans la procédure en référé d’extrême urgence.
En tant que bénéficiaires du marché litigieux, ces deux sociétés ont un
intérêt suffisant à intervenir dans le cadre de la présente procédure. Il y a lieu, à ce
stade de la procédure, d’accueillir ces requêtes.
IV. Faits utiles à l’examen du recours
Le 27 avril 2020, le Conseil des ministres charge le ministre de la
Défense d’acquérir des masques buccaux afin de couvrir les besoins de la population
belge par un accord-cadre conclu selon la procédure négociée sans publication
préalable avec l’industrie belge du textile ou avec des fournisseurs internationaux
sur la base d’une consultation préalable du marché (prospection) à réaliser.
Le 28 avril 2020, le pouvoir adjudicateur commence ses activités de
prospection dans le cadre du marché en cause. Il consulte, en parallèle, l’industrie
belge de la confection et fourniture de textiles sous la coordination de Créamoda
(fédération belge de la mode) ainsi que d’autres soumissionnaires potentiels.
Les tractations réalisées via Créamoda n’aboutissent pas.
En revanche, un premier tour de consultation préalable du marché (partie
1) est effectué, selon les déclarations de la partie adverse, auprès de 190 acteurs de la
confection textile. Les soumissionnaires potentiels sont invités à déposer une « offre
de prospection » pour le 30 avril 2020 à 12h00.
La requérante et les parties intervenantes transmettent des premières
propositions.
Le 30 avril 2020 à 23h50, le pouvoir adjudicateur communique un
nouveau document de prospection dans le cadre d’un second tour (partie 2). Le
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document complété doit parvenir au pouvoir adjudicateur pour le samedi 2 mai 2020
à 12h00.
Le 2 mai 2020 à 11h45, le pouvoir adjudicateur informe les
soumissionnaires potentiels d’une mise à jour supplémentaire ainsi que du
déroulement de la suite de la procédure. Le délai pour le dépôt d’une proposition est
reporté à 15h00. Il est notamment précisé que « [t]outes les entreprises qui, sur la
base du premier et/ou du deuxième tour de consultation, ont fourni des informations
démontrant qu'elles peuvent garantir une capacité de livraison minimale supérieure à
250.000 pièces/semaine, recevront, après cette phase de prospection, un cahier des
charges définissant les exigences finales et les modalités d'attribution, y compris une
invitation à soumettre une offre, conformément à la législation sur les marchés
publics », que « [c]e cahier des charges [ …] sera envoyé encore aujourd'hui », que
« [l]a date limite pour le dépôt des offres sera communiquée par le pouvoir
adjudicateur » et que « [l]'intention est de parvenir à une décision d'attribution le
plus rapidement possible ».
La requérante et les parties intervenantes transmettent de nouvelles
propositions dans le cadre du second tour de prospection (partie 2). À propos de la
proposition de la requérante, on peut lire notamment ce qui suit :
« […]
Veuillez nous fournir au moins une Minister of trade VIETNAM => 40
référence d'une livraison de volume millions AGTEX Brand (photo en
équivalent du produit que vous proposez. annexe)
JAPAN => 15 millions (commande en
production)
GERMANY => 2 millions (commande
confirmée hier)
[…]
»
Le 3 mai 2020, à 00h30, quarante et une firmes sont invitées à déposer
une offre pour le 4 mai à 15h00. Le cahier spécial des charges leur est communiqué
simultanément. Il fait l’objet d’un
erratum envoyé le 3 mai à 12h30. Il est
notamment prévu ce qui suit :
« […]
2. Procédure
a. Nature de la procédure
Procédure négociée sans publication préalable sur base de l’article 42, §1,
1°, b) de la loi du 17 juin 2016.
b. Centrale d’achat
Dans le cadre de ce dossier, le ministère de la Défense (La Défense) acte
en tant que centrale d'achat au profit de toutes les institutions
gouvernementales qui font partie du gouvernement fédéral, des régions et
des communautés.
La Défense (voir service dirigeant ci-dessous) passera les commandes
pour les autorités fédérales.
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Pour ce qui concerne les autres commandes, les modalités seront
communiquées séparément par le service dirigeant de la Défense […]
3. Objet
a. But de l’accord-cadre
Avec le présent accord-cadre, la Défense souhaite procéder à la mise en
place d’un accord-cadre pour la commande de masques buccaux
réutilisables en étoffe. Les commandes seront passées à plusieurs
participants.
La possibilité est offerte au gouvernement fédéral ainsi qu’aux régions et
aux communautés d’exécuter les commandes sur cet accord-cadre
conformément aux modalités déterminées par le service dirigeant de la
Défense.
b. Spécifications techniques minimales
Toutes les livraisons satisfont ou sont équivalentes à la norme NBN /
DTD S 65-001 : 2020, version 1.1 du 28 avril 2020 […]
4. Début, durée et prolongations
L’accord-cadre court, a priori, jusqu’au 31 décembre 2020, avec possibilité
de prolongation pour une période d’un an. La prolongation ne peut avoir
lieu qu’après sa notification par le service dirigeant de la Défense, avant
l’expiration du contrat.
[…] Le pouvoir adjudicateur ne contracte aucune obligation d’acquérir les
items à concurrence des quantités estimées.
[…]
6. Motifs d’exclusion et sélection qualitative
[…]
b. Déclaration explicite – Document unique de marché européen (DUME)
Le DUME doit être entièrement rédigé, complété et introduit par le
soumissionnaire […]
Par l’introduction d’un DUME entièrement rempli (et signé), le
soumissionnaire déclare explicitement sur l’honneur, qu’il ne se trouve
pas dans un des cas d’exclusion repris aux articles 67, 68 et 69 de la loi.
[…]
c. Sélection qualitative
Le soumissionnaire est demandé à présenter une déclaration selon laquelle
il a déjà fourni au moins 250 000 pièces de masques en étoffe réutilisables
avec le nom et l'adresse du destinataire.
7. L’attribution du marché
a. Exigences minimales
Pour être sélectionné comme participant, vous devez, en tant que
fournisseur, AU MOINS répondre aux exigences suivantes :
(1) Être sélectionné (voir Par 6)
(2) Fournir toutes les preuves techniques nécessaires dont il ressort que
les masques répondent ou sont équivalents à la norme BNB / DTD S
65-001 : 2020, version 1.1 du 28 avril 2020, et si possible
accompagnées d’une photo ou d’un dessin de l’article.
(3) Soumettre un schéma de livraison entièrement complété, avec vos
capacités de livraison garanties tablant sur l’hypothèse que les
premières commandes seront placées le mardi 5 mai 2020, avant
minuit.
(4) Offrir un prix unitaire pour le masque demandé, le cas échéant
également pour un masque de taille enfant, si nécessaire en fonction
du modèle. Pour être considéré comme conforme, ce prix ne dépassera
pas 2,50 EUR hors TVA/pièce et comprendra les faits de transport à
Vilvorde Belgique (DDP).
[…]
b. Critères d’attribution
Le marché sera attribué sur la base des critères d’attribution suivants, par
ordre d’importance :
(1) la capacité de livraison totale garantie pour les semaines 20-21
(2) la capacité de livraison totale garantie pour les semaines 20-21-22-23
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(3) le prix
c. Méthode d’évaluation
Seules les entreprises qui répondent aux exigences minimales du cahier
spécial des charges sont prises en considération pour l’évaluation décrite
ci-dessous.
(1) Évaluation de la capacité totale de livraison garantie pour les
semaines 20-21
Pour les entreprises conformes, un classement sera établi sur base de
la capacité de livraison totale garantie pour les semaines 20-21. Sont
retenus pour participer à l’accord-cadre autant de participants que
nécessaire pour obtenir une capacité d’approvisionnement totale
minimale de 18 millions de masques buccaux.
(2) Évaluation de la capacité de livraison totale garantie pour les
semaines 21-21- 22-23
La liste résultant du Par. (1) ci-dessus sera complétée par autant
d’entreprises conformes que nécessaire pour obtenir une capacité
d’approvisionnement totale garantie pour les semaines 20-21-22-23
de 50 millions de masques buccaux.
(3) Évaluation du prix
En cas de capacité de livraison égale, le prix sera déterminant pour le
classement.
8. Commandes et délais de livraison
[…]
Le délai de livraison sera déterminé précisément dans la lettre de commande,
conformément au schéma de livraison garanti.
Concernant la première commande, cela signifie concrètement que, sur la base
d’une commande le 5 mai 2020, à minuit au plus tard, que votre capacité de
livraison garantie de la semaine 20 doit être livrée avant le dimanche 17 mai
2020, à minuit.
La capacité de livraison garantie des semaines 21 et suivantes doit être livrée,
chaque fois, avant le dernier jour calendrier (= dimanche), à minuit, de la
semaine concernée.
Toutes les commandes jusqu’aux premiers 50 millions de masques buccaux,
seront placées auprès des participants retenus, conformément à leurs capacités
de livraison remises (voir les Par 7.(b) et (c) ci-dessus).
Pour les commandes à partir de 50 millions de masques buccaux (semaine 24
et suivantes), les commandes seront placées auprès des participants retenus à
raison du % proportionnel suivant la capacité de livraison remise pour les
semaines 24 jusque 52.
[…]
13. Modalités quant aux pénalités et amendes pour retard
Puisque le délai de livraison constitue un critère d’attribution du marché, le
présent marché fixe ci-dessous le mode de calcul des amendes pour retard […]
pour les fournitures dont la livraison est effectuée avec retard.
[…]
14. Facturation
a. Avances et acomptes
En principe, il ne sera accordé ni avance, ni acompte.
[…]
16. Billet d’offre
[…]
c. Capacité de production et schéma de livraison à partir de la semaine 20
Livraison en
Livraison au plus tard Quantité
garantie Sur base d’une
semaine
le :
par
semaine
de commande avant
calendrier
livraison à Vilvorde
20
17 mai 2020, à 23 h h59
21
24 mai 2020, à 23 h h59
Sous-total 20-21
22
31 mai 2020, à 23 h h59
23
7 juin 2020, à 23 h h59
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Sous-total 20-21-22-23
Semaines 24 à 52
Dernier jour calendrier
Dernier
jour
de la semaine (dimanche,
calendrier
de
la
23 h 59)
(semaine concernée
– 4)
(dimanche
23h59
hr)
d. Prix unitaire hors TVA transport inclus (DDP)
EUR (HTVA)
Masque buccal réutilisable en étoffe conforme ou équivalent à la
NBN/DTD S 65-001:2020 du 28 avril 2020
e. Dossier technique
(1) Certificats et documents à fournir pour démontrer la conformité ou
l’équivalence à la norme (NBN / DTD S 65-001 : 2020 du 28 avril 2020)
avec, si possible, photographies ou dessins des articles :
(a) Soit les rapports d’essai du fournisseur de matières premières :
(i) Capacité du filtre (pénétration) […]
(ii) Perméabilité à l’air […]
(b) Soit les rapports d’essai du masque pour :
(i) Capacité du filtre (pénétration) […]
(ii) Perméabilité à l’air […]
[…]
(d) Brève fiche technique du (des) masque(s) buccal (buccaux) avec
photographies ou dessins de l’article fini […]
[…]
(5) Le nombre de cycles de lavage garantis, les instructions d’entretien et le
manuel d’utilisation du masque doivent être repris dans le dossier
technique.
[…]
f. Composition de votre dossier à fournir avant le lundi 4 mai, à 15 heures :
1.
L’offre signée
2.
Le dossier technique (cf. Par 16.e.)
3.
Le Document Unique de Marché Européen
Attention : l’absence du DUME signé dans l’offre conduit automatiquement à l’éviction du
soumissionnaire.
4.
La déclaration des références total de 250 000 pièces (cf. Par 6.c)
5.
La preuve du mandat autorisant la signature
[…] »
Le 4 mai 2020, trente firmes introduisent une offre, en ce compris la
requérante et les parties intervenantes.
Le 5 mai 2020, un rapport d’attribution est établi. Suivant ce rapport,
seules quatre firmes sont évaluées. Les offres des autres soumissionnaires ne sont
pas sélectionnées sur la base du point 6.c du cahier spécial des charges (absence de
déclaration de la fourniture d’au moins 250.000 masques en tissu) ou sont jugées
non conformes sur le plan administratif ou sur le plan technique. Le rapport
d’attribution propose de retenir les offres des deux parties intervenantes.
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Le même jour, le ministre de la Défense décide d’attribuer le marché à
ces deux sociétés. Cette décision leur est notifiée. Une commande de trois millions
de masques est passée auprès de la première partie intervenante, pour des livraisons
de un et deux millions de masques, prévues les 17 et 24 mai 2020, et une commande
de quinze millions de masques est passée auprès de la deuxième partie intervenante
pour une livraison le 24 mai 2020.
Les 6 et 7 mai 2020, la requérante est informée par courriel, puis par pli
recommandé, que son offre n’a pas été retenue. Il y est précisé ce qui suit :
« Hieronder vindt U het motief dat aanleiding heeft gegeven tot de beslissing van
niet-selectie die genomen werd door de bevoegde ordonnateur :
Uw offerte voldoet niet: geen aantallen en geen referenties opgegeven. In
toepassing van Par 6.c van het bestek en van Art 68, §4,1°, b) van het KB PL van
18 Apr 17 bent u niet geselecteerd.
In het kader van de administratieve regelmatigheid werd geverifieerd of de firma
aan de alle administratieve eisen van het bestek voldoet, zoals bepaald in Par 7.a.
(3) t.e.m. (6) van het bestek. Er werd nagezien of er geen voorbehoud werd
gemaakt over de essentiële bepalingen inzake prijs, termijnen en
betalingsvoorwaarden: Afwijkingen in de leveringschema, voorschot van 30%,
US-wisselkoers.
»
Les 6 et 8 mai 2020, la deuxième partie intervenante communique au
pouvoir adjudicateur des attestations complémentaires (extrait vierge du casier
judiciaire et attestation de non-obligation).
Les 7 et 8 mai 2020, le ministre de la Défense envoie cinq courriers aux
ministres-présidents des communautés et des régions, dans lesquels il leur propose
d’utiliser l’accord-cadre pour passer des commandes de masques buccaux en tissu.
La décision par laquelle la partie adverse rejette l’offre de la requérante
et attribue le marché aux deux parties intervenantes est l’acte attaqué.
V. Compétence du Conseil d’État
La première partie intervenante relève que l’accord-cadre qui la lie à la
partie adverse a été conclu à la suite de la notification, par lettre du 5 mai 2020, de la
décision d’attribution du marché litigieux. Elle fait valoir que le présent recours
dirigé contre la décision d’attribution reste sans effet sur cet accord-cadre, à propos
duquel ce n’est pas le Conseil d’État, mais bien le juge judiciaire qui est compétent.
La présente demande est dirigée contre la décision du 5 mai 2020 par
laquelle la partie adverse écarte l’offre de la requérante et attribue aux deux parties
intervenantes l’accord-cadre relatif à la fourniture de masques buccaux réutilisables
en étoffe (
Community masks), passé par procédure négociée sans publication
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préalable. Le Conseil d’État est compétent pour connaître de la légalité d’un tel acte,
détachable de l’accord-cadre à propos duquel, il est vrai, le juge judiciaire est seul
compétent.
VI. Demande d’écartement de la note complémentaire déposée par la requérante
VI.1. Thèses des parties
Dans sa note complémentaire, la partie adverse demande, à titre de
remarque préliminaire, l’écartement de la note complémentaire déposée par la
requérante, au motif, en substance, qu’elle comporte un grand nombre de griefs
nouveaux, répartis sur 38 pages, qui confondent les moyens initiaux et nouveaux
dans une structure particulièrement complexe, elle-même nouvelle, qui est
attentatoire aux droits de la défense et est incompatible avec les limites et les
contraintes de la procédure en suspension d’extrême urgence.
Dans ses dernières observations, la requérante répond qu’elle est
recevable à invoquer des griefs nouveaux, s’ils sont révélés ultérieurement, en cours
de procédure. Elle ajoute qu’il appartient au Conseil d’État, même dans le cadre
d’une procédure d’extrême urgence, de vérifier la qualité des offres au regard des
critères du marché et qu’en argumentant longuement sur des questions de
recevabilité, les parties adverse et intervenantes ont contribué à complexifier la
présente affaire.
VI.2. Appréciation du Conseil d’État
La pandémie du Covid-19 conduit à des circonstances exceptionnelles
dans lesquelles les recours introduits devant le Conseil d’État, notamment selon la
procédure d’extrême urgence, doivent continuer à être traités, dans le respect des
mesures de lutte contre la propagation du virus. Le recours à une procédure
exclusivement écrite, prévu, pour les demandes de suspension d’extrême urgence,
par l’article 2 de l’arrêté royal n° 12 du 21 avril 2020 concernant la prorogation des
délais de procédure devant le Conseil d’État et la procédure écrite, prorogé par les
arrêtés royaux des 4 et 18 mai 2020, doit, dans la mesure du possible, respecter le
caractère contradictoire des débats. À l’image de ce qui se fait en temps normal
lorsqu’une audience est fixée, l’ordonnance n° 1223 du 26 mai 2020 adoptée dans le
cadre de la présente procédure a prévu, à la suite des premiers écrits de procédure
transmis par chacune des parties, la possibilité de déposer des notes
complémentaires ainsi que de transmettre des dernières observations avant que le
membre de l’auditorat chargé d’instruire l’affaire ne rende son avis écrit.
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La note complémentaire transmise par la requérante, dans le contexte
particulier qui vient d’être rappelé, ne peut être écartée au seul motif qu’elle serait
trop volumineuse ou structurée de manière trop complexe. La partie adverse ne peut
sérieusement alléguer que ses droits de la défense seraient méconnus alors qu’elle a,
elle-même, pu répondre – et a effectivement répondu – aux arguments de la
requérante, par l’envoi d’une note complémentaire et de dernières observations.
La demande d’écartement de la note complémentaire de la requérante est
rejetée.
Quant aux griefs nouveaux qui seraient soulevés dans cette note, ils
doivent être déclarés irrecevables, sauf s’ils touchent à l’ordre public ou s’ils sont
fondés sur des éléments que la requérante n’a pu découvrir qu’après l’introduction
de sa requête, à la lecture des écrits et pièces, déposés dans le cadre de la présente
procédure.
VII. Demande d’écartement des dernières observations envoyées par la requérante
La deuxième partie intervenante a, dans un premier temps, demandé
l’écartement des dernières observations transmises, le 17 juin 2020 à 15h16, par la
requérante au motif, en bref, qu’elles n’avaient pas été communiquées à ses conseils,
qu’ils n’avaient pas pu en prendre connaissance et donc y répondre dans les délais
qui leur avaient été imposés, avant 16h00 le même jour.
Par l’arrêt n° 230.840 du 19 juin 2020, le Conseil d’État a ordonné la
réouverture des débats pour permettre aux deux parties intervenantes de déposer,
chacune pour ce qui la concerne, des dernières observations répliquant aux derniers
arguments de la requérante, après avoir constaté qu’à un stade antérieur à l’envoi des
dernières observations de la requérante, une erreur avait été commise dans les
adresses e-mail des conseils des deux parties intervenantes, qu’en conséquence,
l’envoi de la requérante n’avait pas été adressé à ces derniers et que les parties
intervenantes n’avaient donc pas été mises en mesure de faire valoir utilement leurs
dernières observations avant la clôture des débats, à la suite de la communication de
l’avis du membre de l’auditorat chargé de l’instruction de l’affaire.
À la suite de cet arrêt, la deuxième partie intervenante a pu déposer, en
temps utile, des dernières observations répliquant aux derniers arguments de la
requérante.
En conséquence, la demande d’écartement des dernières observations
envoyées par la requérante est rejetée.
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VIII. Recevabilité de la demande de suspension
VIII.1. Thèses des parties
Dans sa requête, la requérante justifie son intérêt à agir par le fait qu’elle
est active dans le secteur du textile, qu’elle a remis une offre pour l’attribution du
marché litigieux et que, dans son recours, elle conteste les motifs par lesquels la
partie adverse a décidé de rejeter son offre et d’attribuer le marché aux parties
intervenantes (premier et deuxième moyens) ainsi que la régularité de la décision de
recourir à la procédure négociée sans publication préalable (troisième moyen). Selon
elle, la circonstance que la partie adverse a commencé à exécuter l’accord-cadre n’a
pas d’incidence sur l’intérêt au recours. Dans sa note complémentaire, elle expose en
substance que la question de son intérêt au recours ne peut être tranchée que par
l’examen des différents moyens de la requête et des griefs nouveaux qu’elle soulève
dans sa note, qui, à les supposer fondés, lui donnerait une nouvelle chance d’être
partie à l’accord-cadre.
Dans sa note d’observations, la partie adverse soutient que la requérante
ne dispose pas de l’intérêt requis au présent recours, dès lors qu’elle ne conteste pas
le motif de l’acte attaqué qui relève l’irrégularité de son offre, en raison d’une
« dérogation au schéma de livraison », et qu’elle n’établit pas l’irrégularité des
offres des deux bénéficiaires du marché.
Dans sa requête, la première partie intervenante s’interroge également
sur l’intérêt à agir de la requérante dès lors que, comme le relève la décision
attaquée, son offre est entachée d’irrégularités qui justifient, en toute hypothèse, la
décision de rejeter celle-ci. Elle en déduit que l’exception qu’elle soulève est liée à
l’examen du caractère sérieux du premier moyen de la requête, qui conteste l’acte
attaqué en ce qu’il répute son offre irrégulière. Dans sa note complémentaire, elle
répète que les irrégularités qui affectent l’offre de la requérante démontrent qu’elle
n’aurait pas pu se voir attribuer le marché et en déduit qu’elle n’a pas intérêt aux
deux premiers moyens de la requête. Elle estime que la requérante n’a pas, non plus,
intérêt à critiquer, dans le troisième moyen, le recours à la procédure négociée sans
publication préalable, puisqu’elle a été invitée à participer à cette procédure et
qu’elle ne postule pas la suspension de la décision de procéder par procédure
négociée sans publication préalable.
Dans sa requête, la deuxième partie intervenante conteste aussi l’intérêt
de la requérante à critiquer la décision d’attribution du marché litigieux, dès lors
que, premièrement, nonobstant le recours introduit, son offre serait toujours
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irrégulière en raison d’une dérogation illégale – et non contestée – au schéma de
livraison imposé par le cahier spécial des charges, que, deuxièmement, le recours ne
contient pas de moyens qui dénoncent, dans l’offre des deux parties intervenantes,
les mêmes irrégularités que celles qui affectent son offre et que, troisièmement, la
requérante a présenté un DUME incomplet. Elle en déduit que la suspension et
l’annulation de l’acte attaqué ne donneraient aucune chance à la requérante d’obtenir
l’accord-cadre.
VIII.2. Appréciation du Conseil d’État
L’article 15 de loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à
l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains
marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions dispose que
l’instance de recours peut ordonner la suspension de l’exécution des décisions prises
par les autorités adjudicatrices dans les mêmes conditions que celles visées à
l’article 14 de la même loi, c’est-à-dire pour autant, d’une part, que le recours soit
introduit par une personne qui a, ou a eu, un intérêt à obtenir le marché et, d’autre
part, que les violations alléguées aient lésé, ou risqué de léser, la partie requérante. Il
s’ensuit que, pour être recevable, le recours doit soulever au moins un moyen fondé
sur une violation « ayant lésé » ou « risquant de léser » la requérante.
En l’espèce, l’intérêt de la requérante au présent recours n’est
prima
facie pas contestable. La requérante est un opérateur économique qui a fait offre
pour le marché considéré. Par sa requête, elle tend notamment à démontrer que des
illégalités commises lors la sélection et l’examen de la régularité des offres ont
conduit la partie adverse à écarter injustement son offre et à retenir irrégulièrement,
et à son désavantage, celles des deux parties intervenantes.
Quant à l’affirmation selon laquelle la requérante n’aurait pas présenté
un DUME complet, il faut constater que la partie adverse n’a relevé aucun
manquement à cet égard, en sorte qu’il n’appartient pas au Conseil d’État, dans le
cadre de l’examen de la recevabilité du recours, de substituer son appréciation à
celle du pouvoir adjudicateur et de vérifier, à sa place, si l’offre de la requérante est
entachée de l’irrégularité que dénonce la deuxième partie intervenante.
Les exceptions d’irrecevabilité du recours, tirées du défaut d’intérêt à
agir de la requérante, ne peuvent être accueillies.
Par ailleurs, la circonstance que l’accord-cadre est déjà conclu et
partiellement exécuté ne prive pas la requérante de son intérêt à demander la
suspension de l’exécution de la décision d’attribuer le marché, en application de
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l’article 15 de la loi du 17 juin 2013 précitée, dès lors que, conformément à ce que
prévoit cette disposition, elle remplit les mêmes conditions que celles qui lui
permettent de demander l’annulation de cette décision.
IX. Premier moyen
IX.1. Thèse de la requérante
La requérante prend un premier moyen de la violation des articles 68,
§4, 1°, b, et 76 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés
publics dans les secteurs classiques, de l’article 1 c (2), du document de consultation
(partie 1), des articles 5, 6 c, 7 a (4), et 14 a, du cahier spécial des charges, du
principe de transparence et du principe d’égalité, des principes de bonne
administration, en particulier le principe
patere legem quam ipse fecisti, du défaut
de motifs de droit et de fait exacts, pertinents et admissibles et de l’erreur manifeste
d’appréciation. Elle critique, dans la requête, trois des quatre motifs par lesquels la
partie adverse a décidé de rejeter son offre. S’agissant du défaut de déclaration de
fournitures d’au moins 250.000 masques en étoffe réutilisables (premier motif), elle
fait valoir, en substance, que la partie adverse ne pouvait exiger d’autre preuve que
la liste des fournitures exécutées, valant selon elle « déclaration », qu’elle a produite
et qui a permis à la partie adverse de constater sa capacité technique à exécuter le
marché et de la sélectionner au terme de la phase de prospection pour remettre une
offre. Elle ajoute que l’exigence probatoire de présenter une déclaration a été
formulée tardivement dans le cahier spécial des charges et qu’il était impossible d’y
répondre dans le délai qui lui était imposé. Quant à l’interdiction de prévoir un
acompte sur le prix de la commande (deuxième motif), elle fait valoir que l’exigence
d’une avance ne constitue pas une irrégularité substantielle qui contreviendrait à une
exigence essentielle du cahier spécial des charges, qu’elle est une pratique normale
et saine dans les contrats internationaux où le contractant doit s’engager dans des
processus coûteux et que l’article 67, §1er, 4°, de l’arrêté royal du 14 janvier 2013
établissant les règles générales d’exécution des marchés publics permet d’ailleurs
l’avance notamment lorsqu’un paiement préalable est requis selon les usages.
Concernant l’interdiction d’établir le prix par référence à une devise étrangère
(troisième motif), la requérante affirme que son offre est bien libellée en euros et que
la référence qu’elle fait au taux de change du dollar est donnée pour indiquer que les
marchandises sont acquises sur le marché international en dollars. Elle précise que
les incidences de cette mention en cours d’exécution sont spécifiquement prévues
par l’article 38/7 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 précité, au titre de la révision
des prix, et fait valoir qu’en considérant que son offre est irrégulière en raison d’une
liaison au dollar, la partie adverse a méconnu le contexte international dans lequel
elle a passé le marché et l’article 5 du cahier spécial des charges, en tant qu’il
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renvoie expressément à la disposition réglementaire précitée et à la possibilité
qu’elle prévoit de réviser un prix (libellé en euros) lorsqu’il y a une variation du taux
de change avec la monnaie dans laquelle la fourniture ou l’un de ses composants
sont acquis.
Dans sa note complémentaire, la requérante développe davantage ses
critiques à l’encontre des trois motifs précités de l’acte attaqué, en y ajoutant de
nouveaux griefs tirés (1) de l’absence de cohérence et de pertinence de l’exigence
probatoire de présenter une déclaration de fournitures d’au moins 250.000 masques
et (2) du traitement inégal des soumissionnaires, en ce que :
- pour apprécier la capacité de livraison des deux parties intervenantes, la partie
adverse a admis que la première ait recours à la capacité de sous-traitants, alors
que cela lui a été refusé, et a sélectionné la deuxième, alors qu’il est, selon elle,
douteux qu’elle ait pu, de manière vraisemblable, déclarer avoir, dans le passé,
livré plus de 250.000 masques (violation du principe d’égalité) ;
- la partie adverse ne l’a pas invitée à compléter son offre par la preuve de la
livraison d’une fourniture de plus de 250.000 masques, alors qu’elle a offert
cette possibilité à la deuxième partie intervenante, en lui permettant d’apporter,
après le dépôt de son offre, la preuve de l’absence de dettes fiscales et
sociales (violation du principe d’égalité) ;
- la partie adverse a déclaré l’offre de la société ALSICO régulière alors qu’elle a
vraisemblablement soumis son engagement de fournitures au paiement d’un
acompte et alors que l’exigence d’une avance a conduit la partie adverse à
déclarer son offre à elle irrégulière (violation du principe d’égalité).
Pour la première fois dans sa note complémentaire, la requérante
conteste le quatrième motif de l’acte attaqué qui a justifié son éviction, en raison
d’une « dérogation au schéma de livraison ». Elle explique qu’elle n’a pas compris
cette mention, exprimée de manière sommaire dans l’acte attaqué, au contraire des
mentions relatives aux trois autres motifs de cet acte, qui se réfèrent expressément
au contenu de son offre et fait valoir qu’elle peut encore contester ce motif dans le
cadre de son recours en annulation. Elle dénonce, en substance, un traitement
discriminatoire à son égard, en ce que la partie adverse a rejeté son offre, en
considérant qu’elle ne constituait pas un engagement ferme de sa part, alors que,
concernant les offres des deux parties intervenantes, elle n’a pas vérifié si, au-delà
d’engagements formels et apparents, celles-ci étaient techniquement en mesure de
livrer dans les délais les quantités promises de masques, en respectant les exigences
de qualité requises.
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Dans ses dernières observations, la requérante souligne que, même si son
offre devait être considérée comme irrégulière, elle conserverait un intérêt à
dénoncer les différences de traitement dont elle a été victime dans l’appréciation des
offres, dès lors qu’après réparation de ces illégalités, son offre devrait être comparée
avec celles des soumissionnaires concurrents.
IX.2. Appréciation du Conseil d’État
La décision motivée d’attribution et son annexe B justifient l’écartement
de l’offre de la requérante sur la base de quatre motifs distincts, qui ont été
communiqués à la requérante dans les termes suivants :
« Hieronder vindt U het motief dat aanleiding heeft gegeven tot de beslissing van
niet-selectie die genomen werd door de bevoegde ordonnateur :
Uw offerte voldoet niet : geen aantallen en geen referenties opgegeven. In
toepassing van Par. 6.c van het bestek en van Art. 68, §4, 1°, b) van het KB PL
van 18 Apr 17 bent u niet geselecteerd.
In het kader van de administratieve regelmatigheid werd geverifieerd of de firma
aan de alle administratieve eisen van het bestek voldoet, zoals bepaald in Par. 7.a.
(3) t.e.m. (6) van het bestek. Er werd nagezien of er geen voorbehoud werd
gemaakt over de essentiële bepalingen inzake prijs, termijnen en
betalingsvoorwaarden : Afwijking in de leveringsschema, voorschot van 30%,
US-wisselkoers».
La requérante ne peut sérieusement soutenir qu’elle n’a pas compris la
mention « dérogation au schéma de livraison », précédée du renvoi aux « exigences
minimales » visées à l’article 7.a.(3) à (6), du cahier spécial des charges concernant
notamment les « délais ». Ce motif de l’acte attaqué était parfaitement intelligible,
compte tenu des exigences claires du cahier spécial des charges relatives au
« schéma de livraison » et des réserves expresses que la requérante a cru bon
d’exprimer, à ce sujet, dans son offre.
Ainsi, sous le point 7.a.(3) du cahier spécial des charges, il est
clairement formulé à titre d’« exigences minimales », que « pour pouvoir être
sélectionné comme participant », il faut « soumettre un schéma de livraison
entièrement complété, avec [des] capacités de livraison garanties ». Au point 7.b.
« Critères d’attribution », il est précisé que la « capacité de livraison totale garantie »
pour les semaines 20-21, puis pour les semaines 20-21-22-23, constitue, avant le
prix, le premier critère pour évaluer les offres qui répondent aux exigences
minimales du cahier spécial des charges (point 7.c). Sous le point 8 « Commandes et
délais de livraison », il est notamment mentionné que « [l]e délai de livraison sera
déterminé précisément dans la lettre de commande, conformément au schéma de
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livraison garanti », que « [c]oncernant la première commande, cela signifie
concrètement que, sur la base d’une commande le 5 mai 2020, à minuit au plus tard,
[…] votre capacité de livraison garantie de la semaine 20 doit être livrée avant le
dimanche 17 mai 2020, à minuit », que « [l]a capacité de livraison garantie des
semaines 21 et suivantes doit être livrée, chaque fois, avant le dernier jour calendrier
(=dimanche), à minuit, de la semaine concernée ». Au point 13 « Pénalités et
amendes pour retard », il est prévu « [p]uisque le délai de livraison constitue un
critère d’attribution du marché » que « [l]es amendes pour retard commencent le
lendemain du dernier jour calendrier de la semaine, soit le dimanche, des semaines
calendrier incluses dans le schéma de livraison garanti ». Dans le formulaire d’offre,
il est demandé aux soumissionnaires d’indiquer, la « quantité garantie par semaine
de livraison à Vilvorde » notamment pour les semaines 20, 21, 22 et 23, pour des
livraisons à effectuer « au plus tard » à 23h59, respectivement les 17, 24 et 31 mai et
7 juin. En réponse à l’exigence d’un engagement ferme à livrer des quantités
garanties de masques à des échéances fixes, la requérante a, comme elle l’écrit dans
sa note complémentaire, rempli le formulaire d’offre en mentionnant les quantités de
masques qu’elle s’engageait à livrer pour les dates précitées, tout en précisant
d’initiative que, pour les semaines 20 et 21, « les dates de livraison dépendent du
transport aérien qui doit être réservé et des procédures de douane pour lesquelles
nous aurons besoin de contacts privilégiés » et que, pour les autres semaines, « [l]a
capacité de livraison est fonction de la capacité de transport et des jours fériés ».
Dans ce contexte, la mention d’une « dérogation au schéma de
livraison » était parfaitement compréhensible. Le grief qui conteste ce motif de
l’acte attaqué pouvait et devait être soulevé dès l’introduction du recours. En ce qu’il
est invoqué pour la première fois dans une note complémentaire à la requête, il est
tardif et, partant, irrecevable. La circonstance qu’il pourrait encore être soulevé dans
le cadre du recours en annulation est sans incidence sur l’examen de la recevabilité
de ce grief dans la procédure de suspension.
Le motif tiré d’une « dérogation au schéma de livraison », alors que le
respect de ce schéma est qualifié d’« exigence minimale » par le cahier spécial des
charges, justifie à lui seul la décision d’écarter l’offre de la requérante. Celle-ci est,
dès lors, sans intérêt à critiquer les trois autres motifs qui fondent également cette
décision.
Sans qu’il faille examiner s’ils sont tardifs, les griefs nouveaux soulevés
dans la note complémentaire de la requérante, qui critiquent l’exigence probatoire de
présenter une déclaration de fournitures d’au moins 250.000 masques et dénoncent
des différences de traitement entre soumissionnaires sont également irrecevables,
dès lors qu’ils se rapportent aux trois motifs précités contestés, en vain, dans la
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requête. Contrairement à ce que semble soutenir la requérante dans ses dernières
observations, les différences de traitement qu’elle invoque pour critiquer ces trois
motifs, même à les retenir, ne pourrait conduire à remettre son offre en concurrence
avec celles des autres soumissionnaires, dès lors qu’elle a manqué de contester
valablement le quatrième motif qui fonde, à lui seul, la décision de réputer son offre
irrégulière.
Le premier moyen n’est pas sérieux.
La question de la régularité des offres introduites par les parties
intervenantes, bénéficiaires du marché, est soulevée dans le deuxième moyen et
examinée à cet endroit.
X. Deuxième moyen
X.1. Thèse de la requérante
La requérante prend un deuxième moyen de la violation de l’article 66,
§1er, de la loi du 17 juin 2016 relative à la passation des marchés publics, des articles
35, 36, et 76 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés
publics dans les secteurs classiques, des articles 7 a (2) et (3), b et c, et 8 du cahier
spécial des charges, du principe de transparence et du principe d’égalité, des
principes de bonne administration, en particulier le défaut de motifs de droit et de
fait exacts, pertinents et admissibles et de l’erreur manifeste d’appréciation. Elle
reproche à la partie adverse d’avoir attribué le marché aux parties intervenantes sans
vérifier :
- si les engagements pris par ces dernières quant au volume et au schéma de
livraison étaient réalistes, alors qu’il s’agit d’une exigence essentielle du cahier
spécial des charges, qui prévoit la livraison de 18 millions de masques pour les 17
et 24 mai et impose aux soumissionnaires de s’engager pour une quantité de
livraison garantie pour ces dates, tout en reportant les tests de conformité après la
première commande, entamant, par-là, potentiellement la planification des
premières livraisons ;
- si les prix offerts étaient normaux, alors que, dans le marché tendu de la
fourniture de masques destinés à protéger la population contre le Covid-19, le
risque de prix anormalement élevés est réel, qu’elle-même a offert des prix
unitaires de 0,67 euro et 0,80 euro (hors TVA) pour les masques qu’elle a
proposés, « fixé[s] sur la base d’un prix d’acquisition de l’ordre de 0,50 dollar
pratiqué par son fournisseur et généralement pratiqué sur le marché
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asiatique pour les masques en tissu réutilisables », que la normalité des prix doit
s’apprécier en fonction de la provenance du produit, que, dans ce contexte, la
limite du prix unitaire de 2,50 euros fixé par la partie adverse n’est pas une
mesure pertinente de la normalité et que, partant, les prix offerts qui seraient
proches de cette limite doivent être considérés comme anormalement élevés et
donc vérifiés.
Elle estime avoir intérêt à critiquer la régularité des offres des deux
parties intervenantes, même dans l’hypothèse où son offre aurait valablement pu être
déclarée irrégulière. Elle indique encore ne pas avoir eu accès à la décision motivée
d’attribution et craint que la partie adverse n’ait pas traité les offres qu’elle a
retenues avec la même sévérité qu’elle a appliquée à l’égard de son offre.
Dans sa note complémentaire, la requérante répète ses critiques tirées du
défaut de vérification de l’engagement des bénéficiaires à respecter les délais de
livraison et des prix de leurs offres et invoque, au surplus, de nouveaux griefs qui
dénoncent :
- la sélection de la première partie intervenante alors qu’elle n’a pas apporté la
preuve d’une livraison, par elle, de 250.000 masques, en violation de l’article 6.
c, du cahier spécial des charges, mais a eu recours à la capacité de sous-
traitants ;
- la sélection de la deuxième partie intervenante alors qu’il est, selon la
requérante, douteux qu’elle ait pu, de manière vraisemblable, déclarer avoir,
dans le passé, livré plus de 250.000 masques (violation de l’article 6.c, du cahier
spécial des charges) ;
- la décision d’attribuer le marché à la deuxième partie intervenante, en reportant
la vérification de l’absence de dettes fiscales et sociales (violation de l’article
66, §1er, 2°, de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics) ;
Dans sa note complémentaire, la requérante fait également, pour la
première fois, grief aux parties intervenantes de ne pas avoir exécuté l’accord-cadre
selon les engagements pris dans leurs offres, en méconnaissance des exigences
minimales fixées dans les documents du marché. Elle reproche, en particulier :
-
à la première partie intervenante d’avoir livré des masques ne provenant pas du
sous-traitant dont la capacité a pourtant été déterminante pour sa participation à
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la procédure de passation du marché et d’avoir vraisemblablement fourni
d’autres modèles de masques que ceux qu’elle a proposés dans son offre ;
-
à la deuxième partie intervenante d’avoir livré la quantité de masques promise
dans des délais radicalement incompatibles avec le schéma de livraison
(l’amende imposée pour retard ne faisant, selon elle, qu’éroder sa marge
bénéficiaire), d’avoir livré des fournitures (masques lavables à la main, à une
température de 30° maximum) qui ne sont pas conformes aux exigences
minimales prescrites par les documents du marché (instructions d’entretien pour
un lavage à une température de 60° minimum pour neutraliser le virus) et
d’avoir changé de sous-traitants alors que la capacité du sous-traitant désigné
dans l’offre a été déterminante pour la participation de la deuxième partie
intervenante à la procédure d’attribution du marché.
Selon elle, l’exécution du marché dans d’autres conditions que celles sur
lesquelles les parties intervenantes se sont engagées doit s’analyser comme une
modification substantielle des conditions essentielles de l’accord-cadre et viole les
principes d’égalité et de concurrence ainsi que l’article 38/6, alinéa 2, 1°, de l’arrêté
royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés
publics. Elle estime que si ces modifications avaient été incluses dans la procédure
de passation de l’accord-cadre, elles auraient conduit à un résultat différent et remis
en cause tant la décision d’écarter son offre que celle d’attribuer le marché aux deux
parties intervenantes et en déduit que c’est la décision d’attribution elle-même qui
est illégale. Elle fait encore valoir que l’examen des conditions d’exécution de
l’accord-cadre permet d’établir le caractère « opportuniste » de l’offre émise par la
deuxième partie intervenante afin d’obtenir le marché convoité, alors qu’elle savait
qu’elle ne pourrait tenir son engagement. Elle reproche à la partie adverse « par
aveuglement (la régularité formelle) et négligence (ne pas vérifier le réalisme des
engagements de la seconde partie intervenante) » d’avoir « agi en acceptant que,
dans les faits, le contrat-cadre soit exécuté à des conditions différentes de ses
exigences essentielles ».
Dans ses dernières observations, la requérante répète qu’elle a intérêt à
dénoncer l’irrégularité des offres des parties intervenantes qui sont les bénéficiaires
du marché, pour retrouver une chance d’obtenir celui-ci par une nouvelle mise en
concurrence. Elle ajoute que le lavage des masques à 60° n’était pas une simple
recommandation, mais une exigence essentielle fixée dans les documents du marché,
de sorte que l’offre, dérogatoire à cet égard, de la deuxième partie intervenante était
bien irrégulière. Elle fait valoir, à ce sujet, qu’il n’est pas raisonnable de dégrader
une exigence technique qui, dans la phase initiale de la procédure, se présentait
comme une condition essentielle, que cette exigence se justifie par l’objectif de santé
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publique et de durabilité qu’elle poursuit et que son existence est établie par le fait
que la partie adverse a, elle-même, rejeté l’offre d’un soumissionnaire concurrent en
raison précisément du fait que « la température de lavage mentionnée dans le dossier
technique est de 30° au lieu de 60° comme indiqué dans la norme NBN/DTD S 65-
001 :2020) ». Elle répète que les modifications intervenues en cours d’exécution de
l’accord-cadre ne relèvent pas de l’exécution proprement dite du marché, mais de la
passation de celui-ci lorsque ces modifications portent sur des conditions essentielles
du marché et excèdent les limites des adaptations permises par les articles 38/1 et
suivants de l’arrêté royal du 14 janvier 2013. Elle estime enfin que l’objet du présent
recours doit être étendu à la décision subséquente de modifier, en cours d’exécution,
l’accord-cadre, dès lors que celle-ci est la suite logique et nécessaire de la décision
initiale d’attribuer le marché.
X.2. Appréciation du Conseil d’État
a) Quant à la vérification par le pouvoir adjudicateur du caractère « réaliste » ou
« opportuniste » des engagements pris par les parties intervenantes, particulièrement
quant au volume et au schéma de livraison (grief soulevé dans la requête)
Le contrôle de la régularité d’une offre oblige le pouvoir adjudicateur à
vérifier, lors de l’analyse de cette offre, sa conformité avec l’ensemble des exigences
de la réglementation et des documents du marché. Il ne peut cependant écarter une
offre au motif que l’engagement du soumissionnaire ne lui semblerait pas
« sincère » ou « réaliste », alors que l’offre remise respecte l’ensemble de ces
exigences.
S’agissant, en particulier, des exigences en matière de volume et de
schéma de livraison, le cahier spécial des charges requiert des soumissionnaires un
engagement ferme à livrer des quantités garanties de masques à des échéances
déterminées (
cf. supra premier moyen).
Quant à vérifier la capacité de livraison des soumissionnaires, l’article
6.c. du cahier spécial des charges exige de chacun d’entre eux la présentation
d’« une déclaration selon laquelle il a déjà fourni au moins 250.000 pièces de
masques en étoffe réutilisables avec le nom et l’adresse du destinataire […] ». La
requérante tente, dans sa note complémentaire, de contester la pertinence de ce
critère, en affirmant qu’il ne permettrait pas d’évaluer la capacité des
soumissionnaires à « livrer plusieurs millions de masques dans des délais courts ».
Le grief, nouveau, est cependant tardif et dès lors irrecevable.
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Du reste, il ressort du rapport d’attribution et de ses annexes que la partie
adverse a bien vérifié que les offres des parties intervenantes étaient conformes aux
exigences attendues dans le cahier spécial des charges, pour ce qui concerne les
délais et les quantités garanties de livraison.
b) Quant à la vérification par le pouvoir adjudicateur des prix proposés par les
parties intervenantes (grief soulevé dans la requête)
La décision motivée d’attribution mentionne que les prix de
2,50 euros/pièce (hors TVA) proposés par les parties intervenantes « satisfont aux
exigences du cahier spécial des charges et sont considérés comme acceptables ».
Il ressort du rapport d’attribution et de ses annexes que la partie adverse
a bien procédé à la vérification des prix, visée à l’article 35 de l’arrêté royal du 18
avril 2017 relatif à la passation des marchés dans les secteurs classiques. De plus,
elle a, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, pu décider de ne pas
procéder à un contrôle de prix apparemment anormaux, sur pied de l’article 36 du
même arrêté royal. L’analyse de la partie adverse s’appuie sur un tableau
comparatif, dans lequel, en dernière colonne, les prix unitaires des différents
soumissionnaires ont systématiquement été relevés. Les prix déposés sont
globalement proches du prix de référence que la partie adverse a fixé au terme de la
phase de prospection du marché, après avoir consulté un grand nombre d’entreprises
actives dans le domaine du textile. Par ailleurs, ainsi qu’elle l’écrit dans sa note
d’observations, le prix moyen des offres régulières qui ont été remises est de
2,3 euros/pièce (hors TVA) et celui de l’ensemble des offres, de 2,1 euros/pièce
(hors TVA).
La requérante ne convainc pas lorsqu’elle prend, comme étalon de
référence, les prix qu’elle a elle-même proposés, alors que ceux-ci sont nettement
inférieurs aux prix offerts par la grande majorité des soumissionnaires. L’offre de la
requérante a, par ailleurs, été estimée irrégulière, notamment en raison d’une
dérogation au schéma de livraison et de l’exigence d’un acompte de 30% sur les
montants dus, en principe, « dans un délai de dix jours ouvrables après acceptation
des factures » (article 14.c. du cahier spécial des charges). Comme le soutiennent les
parties intervenantes, il n’est pas exclu que, par ces dispositifs, la requérante ait
entendu limiter son risque financier ou se ménager des conditions plus favorables et,
en conséquence, pu proposer des prix sensiblement inférieurs aux autres
soumissionnaires.
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c) Quant à la vérification par le pouvoir adjudicateur de la capacité de livraison de
la première partie intervenante – preuve de la fourniture d’au moins 250.000 pièces
de masques en étoffe réutilisables avec le nom et l’adresse du destinataire (nouveau
grief)
La requérante n’a pu prendre connaissance des éléments sur lesquels elle
fonde son nouveau grief qu’à la lecture des écrits et pièces déposés dans le cadre de
la présente procédure, postérieurement à l’introduction de sa requête. Le grief est
recevable.
Pour démontrer sa capacité de livraison, la première partie intervenante a
produit deux factures des 26 et 30 avril 2020 émises par le fabricant
« Esquel Enterprises Ltd.», qui portent sur la livraison de 3 millions et 175.000
masques en tissu. La première partie intervenante a également produit une
déclaration sur l’honneur établie le 4 mai 2020, par laquelle cette société déclare
pouvoir produire et fournir les quantités garanties de masques par semaine.
Contrairement à ce que paraît soutenir la requérante, l’article 6.c. du
cahier spécial des charges qui requiert du soumissionnaire qu’il présente « une
déclaration selon laquelle il a déjà fourni au moins 250.000 pièces de masques en
étoffe réutilisables avec le nom et l’adresse du destinataire » n’interdit pas la
sélection du soumissionnaire sur la base de références d’un sous-traitant. L’objectif
poursuivi par cette disposition est bien de s’assurer que le soumissionnaire est en
mesure d’exécuter le marché, fût-ce en recourant à la capacité d’un tiers.
d) Quant à la vérification par le pouvoir adjudicateur de la capacité de livraison de
la deuxième partie intervenante – preuve de la fourniture d’au moins 250.000 pièces
de masques en étoffe réutilisables avec le nom et l’adresse du destinataire (nouveau
grief)
Les doutes émis par la requérante quant à la capacité de livraison de la
deuxième partie intervenante paraissent peu fondés sur des éléments du dossier,
mais relèvent plutôt de la spéculation.
Même à déclarer ce nouveau grief recevable, il faut constater que la
partie adverse s’est, pour établir la capacité de livraison de la deuxième partie
intervenante, comme elle l’affirme, bien fondée sur une facture, établie au nom de
cette société, datée du 13 avril 2020, qui fait état de la fourniture d’un million de
masques en tissu réutilisables.
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e) Quant à la vérification par le pouvoir adjudicateur de l’accès au marché de la
deuxième partie intervenante – absence de dettes fiscales et sociales (nouveau grief)
La requérante n’a pu prendre connaissance des éléments sur lesquels elle
fonde son nouveau grief qu’à la lecture des écrits et pièces déposés dans le cadre de
la présente procédure, postérieurement à l’introduction de sa requête. Le grief est
recevable.
La décision motivée d’attribution indique ce qui suit :
« Vérification des motifs d’exclusion pour les soumissionnaires concernés :
(e) AVROX S.A. a livré la preuve […] que les attestations au regard des motifs
d’exclusion obligatoires et facultatifs ont été demandées auprès des autorités
luxembourgeoises compétentes.
Vu
(i) le fait que, avec le DUME, une déclaration sur l’honneur explicite a été
donnée quant au respect de ces critères ;
(ii) l’urgence impérieuse (commande à passer avant le 05 mai conformément
au Cahier spécial des charges) ;
il est proposé d’attribuer le marché sur la base du DUME. L’entreprise doit
soumettre les attestations, dès que possible, après la notification » .
Comme les autres soumissionnaires, la deuxième partie intervenante a
rempli le Document unique de marché européen (DUME), visé à l’article 73 de la loi
du 17 juin 2016 relative aux marchés publics. Ne disposant pas d’un accès gratuit
aux informations relatives au paiement d’impôts et taxes et de cotisations de sécurité
sociale, qui seraient reprises dans une banque de données au Grand-Duché de
Luxembourg, la partie adverse a demandé à la deuxième partie intervenante de
produire la preuve de l’absence, dans son chef, de dettes fiscales et sociales. Comme
l’indique la décision motivée d’attribution, la deuxième partie intervenante a
transmis la preuve qu’une attestation avait été demandée auprès des autorités
luxembourgeoises compétentes. Sans attendre la réception desdites attestations, le
pouvoir adjudicateur a, le 5 mai 2020, attribué le marché à la deuxième partie
intervenante et passé auprès d’elle une première commande de 15 millions de
masques. Le 8 mai 2020, la deuxième partie intervenante a transmis à la partie
adverse une « attestation de non-obligation pour soumission » établie, le 7 mars
2020, par un préposé de bureau de l’administration des contributions directes du
Grand-Duché de Luxembourg.
En vertu de l’article 66, §1er, alinéa 1er, 2°, de la loi du 17 juin 2016
précitée, le pouvoir adjudicateur doit, avant d’attribuer le marché, vérifier que
« l’offre provient d’un soumissionnaire qui n’est pas exclu de l’accès au marché sur
la base des articles 67 à 70 de la loi […] ». L’article 68 de la même loi dispose que
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« sauf exigences impératives d’intérêt général […] le pouvoir adjudicateur exclut, à
quelque stade de la procédure de passation que ce soit, la participation à une
procédure, d’un candidat ou d’un soumissionnaire qui ne satisfait pas à ses
obligations relatives au paiement d’impôts et taxes ou de cotisations de sécurité
sociale […] ». Le texte prévoit deux exceptions lorsque (1) le montant impayé ne
dépasse pas le montant fixé par le Roi et (2) lorsque le soumissionnaire peut
démontrer qu’il possède à l’égard d’un pouvoir adjudicateur ou d’une entreprise
publique une ou des créances d’un montant égal à celui pour lequel il est en retard
de paiement de dettes fiscales ou sociales. Avant de décider de l’exclusion d’un
soumissionnaire, le pouvoir adjudicateur doit lui demander s’il se trouve dans la
dernière hypothèse visée. Il doit également lui donner la possibilité de se mettre en
règle avec ses obligations fiscales et sociales dans un délai de cinq jours dans le
courant de la procédure de passation, « et ce après avoir constaté une première fois
qu’il ne satisfait pas aux exigences ».
L’« urgence impérieuse » de passer commande le 5 mai 2020, invoquée
dans la décision motivée d’attribution, s’inscrit dans le contexte de la crise sanitaire
et des mesures de lutte contre la propagation du virus Covid-19. Comme le reconnaît
la requérante, le port du masque joue un rôle important dans la stratégie de
déconfinement. Après le Conseil national de sécurité du 24 avril 2020, « se couvrir
la bouche et le nez » devient obligatoire dans les transports en commun et est
fortement recommandé dans les espaces publics, pour toutes les situations où les
règles de distanciation sociale ne peuvent être respectées. La réouverture des
commerces est prévue pour le 11 mai et celle des écoles, à partir du 18 mai. Dans ce
contexte, la nécessité de passer commande le 5 mai, pour des livraisons prévues les
17 et 24 mai, semble bien répondre à une « exigence impérieuse d’intérêt général »,
telle que visée à l’article 68 de la loi, qui permet au pouvoir adjudicateur de ne pas
exclure un soumissionnaire qui serait en retard de paiement de dettes fiscales et
sociales. Vu l’urgence à conclure le marché, la partie adverse n’était, de toute façon,
pas en mesure d’appliquer les procédures et de respecter les délais visés à l’article
68 de la loi. Compte tenu de ces circonstances particulières, il faut considérer
prima
facie que la partie adverse a respecté l’obligation de vérification, imposée par
l’article 66, §1er, alinéa 1er, 2°, de la loi du 17 juin 2016, qui renvoie à l’article 68, en
constatant que la deuxième requérante a, avec le DUME, déclaré expressément sur
l’honneur qu’elle respecte ses obligations fiscales et sociales et a, par ailleurs,
produit la preuve que les attestations ont été demandées auprès des autorités
luxembourgeoises compétentes.
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f) Quant aux modifications, en cours d’exécution de l’accord-cadre, des conditions
fixées dans le cahier spécial des charges (nouveau grief)
La requérante demande au Conseil d’État de vérifier, « au vu de
l’exécution du contrat », la régularité de modifications apportées aux conditions
initiales du marché, concernant, en particulier, l’identité des sous-traitants qui ont
fourni les masques, la qualité de ces masques et les retards intervenus dans leurs
livraisons. Or, le Conseil d’État n’est pas compétent pour contrôler les actes
accomplis dans le cadre de l’exécution d’un accord-cadre, à propos duquel le juge
judiciaire est seul compétent. Pour le même motif, la demande d’extension d’objet
formulée dans la note complémentaire de la requérante n’est pas recevable.
g) Quant aux instructions d’entretien des masques de la deuxième partie
intervenante (nouveau grief)
La requérante a pris connaissance des éléments sur lesquels elle fonde
son nouveau grief en cours de procédure, postérieurement à l’introduction de sa
requête. Le grief est recevable.
Sans devoir déterminer si le « lavage des masques à une température de
60° » constitue une simple recommandation ou une exigence minimale des
documents du marché, il suffit de constater que, dans le dossier d’offre remis par la
deuxième partie intervenante, la notice d’utilisation produite, à titre d’exemple, à
l’attention de la partie adverse, dans le formulaire d’offre, fait mention de la
possibilité d’un « lavage en machine avec un programme qui comprend au moins 30
minutes à 60° », ce vraisemblablement pour se conformer aux spécifications
techniques du marché. Certes, le dossier technique qui est annexé à l’offre
recommande un « lavage à la main » (jusqu’à 30 cycles d’entretien). Cette mention
ne permet cependant pas d’exclure la possibilité de lavages à une température de
60°, dès lors qu’un certain nombre de cycles d’entretien seraient garantis, ce que
paraissent, à première vue, confirmer les résultats des tests effectués par la deuxième
partie intervenante sur ses masques (jusqu’à 25 cycles d’entretien).
Il semble, dès lors, inexact d’affirmer que l’offre de la deuxième partie
intervenante n’était pas conforme aux spécifications techniques énoncées à la norme
« NBN/DTD S 65-001 : 2020, version 1.1. du 28 avril 2020 », en tout cas pour ce
qui concerne les instructions (ou recommandations) d’entretien des masques à livrer.
La circonstance que les masques livrés sont finalement
accompagnés d’une notice
d’utilisation recommandant un « lavage […] à la main [à] température [de] 30°
degrés Celsius maximum » ressortit à l’exécution de l’accord-cadre et échappe au
contrôle du Conseil d’État.
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Le deuxième moyen n’est pas sérieux, sans qu’il soit utile d’examiner
d’autres motifs éventuels de rejet.
XI. Troisième moyen
XI.1. Thèse de la requérante
La requérante prend un troisième moyen de la violation de l’article 42,
§1er, 1°, b, de la loi du 17 juin 2016 relative à la passation des marchés publics, du
principe de transparence, du principe d’égalité, des principes de bonne
administration, en particulier le défaut de motifs de droit et de fait exacts, pertinents
et admissibles, et de l’erreur manifeste d’appréciation. Elle reproche à la partie
adverse d’avoir décidé de passer un accord-cadre par procédure négociée sans
publication préalable en justifiant le choix de cette procédure par l’urgence
impérieuse liée à la pandémie du Covid-19. Elle souligne qu’elle a intérêt au grief,
même si elle a pu participer à la procédure d’attribution, le recours à la procédure
négociée sans publication préalable dérogeant aux droits fondamentaux des marchés
publics. Dans une première branche, elle soutient que la partie adverse savait,
lorsqu’elle a décidé le confinement du pays le 17 mars 2020, la nécessité de procurer
des masques à la population belge et connaissait la situation de pénurie de ce moyen
de protection, en sorte qu’au moment où elle a décidé de lancer le marché litigieux à
la fin du mois d’avril, elle ne se trouvait plus dans une situation d’urgence
impérieuse permettant le recours à la procédure négociée sans publication préalable.
Dans une deuxième branche, elle affirme que l’accord-cadre, qui planifie des
approvisionnements sur les moyen et long termes, n’est pas une structure compatible
avec l’urgence impérieuse qui suppose de devoir répondre à des besoins immédiats
qui ne peuvent attendre le temps nécessaire pour passer un marché public suivant les
procédures ordinaires accélérées (ouvertes ou restreintes), en abrégeant les délais à
15 et 10 jours pour présenter les offres. Elle reproche à la partie adverse d’avoir eu
recours à un accord-cadre, non seulement pour satisfaire un besoin immédiat
correspondant aux 18 millions de masques à livrer au plus tard pour le 24 mai, mais
également pour organiser, à moyen terme, la livraison de 36 millions de masques au
mois de juin, avec la possibilité de passer des commandes ultérieures jusqu’à la fin
de l’année, voir durant l’année 2021.
Dans sa note complémentaire, la requérante conteste l’affirmation selon
laquelle elle n’aurait pas intérêt à critiquer la régularité de la décision de recourir à la
procédure négociée sans publication préalable, même si elle n’a pas remis en cause
ce choix pendant la procédure et qu’elle a pu déposer une offre. Elle relève qu’elle
est parfaitement recevable à invoquer l’illégalité qui affecte la décision de lancer le
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marché litigieux dans le cadre du recours qu’elle introduit contre la décision
d’attribution. Elle ajoute que le grief qu’elle invoque est d’ordre public, en tant qu’il
met en cause l’absence de mise en concurrence par publication préalable, et qu’au
demeurant, l’illégalité qu’elle dénonce lui a causé grief, compte tenu des
« nombreuses violations du principe d’égalité commises par la partie adverse » à
l’occasion de la mise en œuvre de la procédure, alors que « la procédure qui aurait
dû être appliquée garantit de manière plus efficace ses droits ». Quant à l’« urgence
impérieuse », elle réfute l’affirmation selon laquelle la question de la protection de
la population par le port du masque ne se serait posée qu’au moment où le Conseil
national de sécurité a planifié le déconfinement progressif de la population le 24
avril 2020. Se référant aux « avis et recommandations qui ont été émis dès le mois
de janvier en particulier par l’Organisation mondiale de la santé sur la nécessité du
port du masque comme moyen de protection de la population, ainsi que sur les
décisions qui ont été prises par le gouvernement fédéral pour mobiliser les moyens
de protection individuelle vers les personnels soignants », elle soutient que cette
question était posée dès que le Gouvernement fédéral a décidé du
lockdown du pays,
par arrêté ministériel du 17 mars 2020. Quant au recours à l’accord-cadre en
procédure négociée, elle affirme que, dès lors que le besoin immédiat était satisfait,
rien n’empêchait de mettre en œuvre une procédure d’attribution d’un accord-cadre
suivant une procédure de passation ordinaire, le cas échéant avec des délais abrégés,
pour assurer l’approvisionnement de la population en masques, en cas de
dégradation de la situation sanitaire. Elle soutient encore que le risque de saturation
du marché des
Community masks allégué par la deuxième partie intervenante est une
situation temporaire, que les États ont incité l’industrie textile à développer leurs
moyens de production et que, dans certains pays déjà, l’offre ne rencontre plus la
demande.
Dans ses dernières observations, la requérante répète que le recours à la
procédure négociée lui a causé grief (puisqu’elle a, selon elle, été l’occasion de
multiples violations du principe d’égalité, dont elle a été la victime et dont les
bénéficiaires du marché ont profité), que le besoin de protéger la population en la
dotant de masques était connu dès le 17 mars 2020 et qu’il devait être rencontré à ce
moment, déjà pour les personnes en contact avec le virus (personnes atteintes et
leurs proches, personnes exerçant des activités qui ne peuvent l’être en télétravail,
etc.).
XI.2. Appréciation du Conseil d’État
L’article 42, §1er, 1°, b), de la loi 17 juin 2016 relative aux marchés
publics dispose comme il suit :
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« Il ne peut être traité par procédure négociée sans publication préalable, mais si
possible après consultation de plusieurs opérateurs économiques, que dans les cas
suivants :
1° dans le cas d’un marché public de travaux, de fournitures ou de services,
lorsque :
[…]
b) dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l’urgence impérieuse résultant
d’événements imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur ne permet pas de
respecter les délais exigés pour la procédure ouverte, restreinte ou concurrentielle
avec négociation. Les circonstances invoquées ne peuvent, en aucun cas, être
imputables au pouvoir adjudicateur ; […] ».
Les documents préparatoires au marché justifient le recours à la
procédure exceptionnelle de la procédure négociée sans publication préalable par le
fait qu’il est impossible de respecter les délais, même raccourcis, de présentation des
offres appliqués dans les autres procédures. Il y est précisé que le marché en cause
se situe dans le cadre de l’exécution des mesures de déconfinement de la crise du
Covid-19, décidées par le Conseil national de sécurité le 24 avril 2020, qui prévoit la
livraison immédiate de masques en tissu à l’ensemble de la population, de
préférence à partir du 4 mai 2020.
La requérante reconnaît que « la sauvegarde de la santé publique est un
impératif qui justifie l’action urgente », que « [l]a crise sanitaire provoquée par la
COVID-19 est une situation imprévue », que « la partie adverse était dans une
situation d’urgence lorsqu’elle a pris les premières mesures indispensables pour
l’affronter, au début du mois de mars », qu’ « elle est toujours dans une situation
d’urgence » et qu’ « [à] ne considérer que la mesure de protection de la population
par le port du masque réutilisable, l’urgence pouvait être considérée comme
impérieuse dans les jours qui ont suivi le confinement du pays ». Elle estime
cependant que l’urgence de munir toute la population de masques en tissu « a perdu
ce caractère avec l’écoulement du temps », dès lors que, selon elle, la nécessité de
recourir à cette mesure était connue dès le début du confinement.
Cette dernière affirmation est démentie par les pièces déposées par la
requérante, elle-même. Il en ressort, en particulier, que l’Organisation mondiale de
la santé (OMS) indiquait, le 29 janvier 2020, qu’il n’y avait pas de preuve de l’utilité
du port du masque médical pour les personnes non malades et que les masques en
tissu n’étaient recommandés « en aucun cas ». Le 6 avril 2020, le ton adopté par
l’OMS est encore très sceptique. L’Organisation fait savoir qu’ « aucune donnée ne
montre actuellement que le port du masque (médical ou d’un autre type) par les
personnes en bonne santé dans les espaces collectifs, y compris s’il est généralisé,
peut prévenir les infections par des virus respiratoires, dont celui de la Covid-19 »,
que si « [d]ans certains pays, le masque est porté selon les coutumes locales ou
suivant les conseils des autorités nationales dans le cadre du Covid-19 », « [l]e port
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généralisé du masque par des personnes en bonne santé dans les espaces collectifs
n’est pas recommandé d’après les données actuelles et engendre des incertitudes et
des risques importants », que, certes, « le port du masque par les personnes en bonne
santé dans les espaces collectifs peut avoir comme avantages potentiels de réduire le
risque d’exposition potentielle à une personne infectée pendant la phase
"présymptomatique" et de ne pas stigmatiser les personnes qui portent un masque
parce qu’elles sont infectées », mais qu’il est également facteur de « risques
potentiels » (autocontamination, faux sentiment de sécurité, etc.). Elle ajoute que le
port dans les espaces collectifs de masques en tissu, non médicaux, « n’a pas été
bien évalué », qu’il « n’y a actuellement pas de données permettant de formuler des
recommandations tendant à conseiller ou à déconseiller le port de ces masques dans
les espaces collectifs » et que « des recherches sont menées pour apprécier
l’efficacité de ces masques ». Si, dans une communication du 21 mars 2020, le
Risk
Management Group (RMG) évoque la possibilité d’utiliser des masques en tissu
«
home made », c’est uniquement « si des masques chirurgicaux ne sont pas
disponibles » pour les « patients Covid-19 possibles ou confirmés isolés à domicile,
en vue de protéger leur entourage direct ». Dans les arrêtés ministériels des 18 et 23
mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus
COVID-19, il est seulement fait état de ce que le « Covid-19 semble se transmettre
d’un individu à un autre, par voie aérienne » et que « la transmission de la maladie
semble s’opérer par tous les modes possibles d’émission par la bouche et le nez ». Il
n’est pas fait mention du masque buccal, comme instrument de lutte contre la
pandémie de Covid-19. Dans l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 portant sur les
mesures particulières dans le cadre de la pandémie de SRAS-CoV-2 basées sur le
livre XVIII du Code de droit économique, il est uniquement question des masques
chirurgicaux, FFP2 et FFP3 et des difficultés rencontrées dans le secteur de la santé
pour se procurer ces fournitures.
La requérante reste en défaut de démontrer que la nécessité de fournir
toute la population belge en masques pouvait être prévue et planifiée, dès le début du
confinement. Les pièces du dossier tendent plutôt à démontrer que le rôle, à grande
échelle, que le port du masque peut jouer, dans la stratégie du déconfinement, n’a été
que récemment révélé aux autorités compétentes, lors du Conseil national de
sécurité du 24 avril 2020, qui se base lui-même sur l’avis du 22 avril 2020 du
Groupe d’Experts en charge de l’
Exit Strategy (G.E.E.S.). Pour la première fois,
celui-ci recommande une utilisation généralisée des masques buccaux. À partir de ce
moment, « se couvrir la bouche et le nez » devient obligatoire dans les transports en
commun et est fortement recommandé dans l’espace public. Il est, en conséquence,
décidé de procurer gratuitement à chaque citoyen au moins une protection en tissu
normé, en prévision de la réouverture des commerces le 11 mai et des écoles, dès le
18 mai. Dans ce contexte, il fait peu de doute qu’il faut le plus rapidement possible
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passer commande de plusieurs millions de masques et qu’il est impossible de
respecter les délais des autres procédures de passation, même accélérées (en
procédure ouverte, 15 jours pour la réception des offres et, en procédure restreinte
ou procédure concurrentielle avec négociation, 15 jours pour la réception des
demandes de participation et 10 jours pour la réception des offres, sans compter les
jours pour analyser les offres, attribuer le marché, passer commande et se voir
finalement livrer les masques). Le lien de causalité entre l’urgence impérieuse de
fournir la population belge en masques avec l’événement imprévisible que constitue
la pandémie de Covid-19, et son évolution spécifique, n’est pas contestable. Quant à
la passation du marché en cause, elle s’effectue dans les meilleurs délais. Le 27 avril
2020, trois jours après la réunion du Conseil national de sécurité, le Conseil des
ministres charge le ministre de la Défense d’acquérir des masques buccaux afin de
couvrir les besoins de la population belge par un accord-cadre conclu selon la
procédure négociée sans publication préalable. Entre le 28 avril et le 2 mai, la partie
adverse prospecte le marché auprès d’un très grand nombre d’acteurs de la
confection textile. Quarante et une firmes sont invitées à déposer une offre pour le 4
mai, à 15h00. Trente soumissionnaires introduisent finalement une offre. Le 5 mai,
la partie adverse attribue le marché aux deux parties intervenantes et passe auprès
d’elles des premières commandes de 18 millions de masques, à livrer au plus tard
pour les 17 et 24 mai.
La requérante conteste aussi le choix de recourir à un accord-cadre pour
planifier des approvisionnements sur les moyen et long termes.
Conformément à l’article 43, §1er, alinéa 1er, de la loi du 17 juin 2016
relative aux marchés publics, « [u]n pouvoir adjudicateur peut conclure des accords-
cadres pour autant qu’il applique les procédures prévues par la loi ». Il s’en déduit
qu’un accord-cadre peut être attribué par procédure négociée sans publication
préalable, si les conditions de l’article 42, §1er, de la même loi sont respectées.
Il ressort des pièces du dossier que la partie adverse a procédé à une
consultation préalable très large du marché et qu’elle a invité un grand nombre de
soumissionnaires potentiels à introduire une offre. La décision de recourir à une
procédure négociée sans publication préalable n’a pas été décidée pour déroger au
principe de concurrence, mais, comme il vient d’être exposé, pour satisfaire le plus
rapidement possible le besoin immédiat de doter l’ensemble de la population belge
de masques pour lutter contre la propagation du Covid-19 lors de la phase de
déconfinement. La décision de recourir à un accord-cadre pour rencontrer cet
objectif semble à la fois appropriée et conforme aux exigences de l’article 42, §1er,
1°, b) de la loi du 17 juin 2016 précitée. C’est en effet la seule formule qui permet,
dans une première phase, d’attribuer le marché à plusieurs soumissionnaires.
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Conformément à l’article 8 du cahier spécial des charges, le recours à un accord-
cadre a permis de retenir autant de soumissionnaires que nécessaire pour garantir
une capacité garantie, immédiate et globale d’approvisionnement de plus de 50
millions de masques en tissu normés, pour des livraisons prévues au plus tard entre
les 17 mai et 7 juin 2020.
Ce n’est pas tant le recours à la formule de l’accord-cadre qui est
critiqué par la requérante, mais plutôt une modalité particulière relative à la
structuration de ce type de marché. L’article 4 du cahier spécial des charges relatif
au marché litigieux indique que « l’accord-cadre court
a priori jusqu’au 31
décembre 2020, avec possibilité de prolongation pour une période d’un an ». D’une
part, une durée de près de vingt mois est conforme à l’article 43, §2, alinéa 2, de la
loi du 17 juin 2016 précitée. En application de cette disposition, un accord-cadre
peut avoir une durée maximum de quatre années, sans devoir justifier d’une
situation exceptionnelle. D’autre part, rien n’oblige, en l’espèce, le pouvoir
adjudicateur (qui agit en tant que centrale d’achats) ou les autres institutions
gouvernementales fédérales, régionales ou communautaires, visées à l’accord-cadre,
de passer des commandes fondées sur celui-ci jusqu’au 31 décembre 2020, voire
encore l’année suivante. En se réservant cette possibilité, la partie adverse s’est
seulement garanti une marge de manœuvre, qui lui permet de sécuriser, à tout
moment, pour une période déterminée, un approvisionnement immédiat en masques,
dans des conditions préalablement définies (délais de livraison, prix et qualité du
produit), en fonction de l’évolution imprévisible de la pandémie de Covid-19,
notamment en cas de deuxième vague de contamination. Dans le contexte changeant
et incertain de la crise qui affecte actuellement le monde, la précaution prise par la
partie adverse de sécuriser, pour les mois à venir, un approvisionnement en masques
pour toute la population belge, ne paraît pas
prima facie excéder ce qui est
« strictement nécessaire » au sens de l’article 42, §1er, 1°, b), de la même loi.
Le troisième moyen n’est pas sérieux, sans qu’il soit utile d’examiner
d’autres motifs éventuels de rejet.
XII. Demande d’indemnisation pour recours téméraire et vexatoire
XII.1. Thèses des parties
La deuxième partie intervenante sollicite l’application de l’article 27 de
la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l’information et aux voies de
recours en matière de marchés publics. Elle reproche à la requérante d’avoir formulé
des allégations mensongères à son égard et contre ses masques, relayées dans les
médias, et d’avoir divulgué à la presse les parties confidentielles de documents de la
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procédure, alors que la requête ne contient aucun moyen sérieux. Selon elle, le
recours avait pour seul but de ralentir l’exécution du marché et de porter atteinte à sa
réputation et à celle de ses masques, afin d’empêcher des commandes ultérieures.
Elle ajoute qu’avec les attaques particulièrement virulentes et graves, contenues dans
sa note complémentaire et répandues dans la presse, la requérante a contribué
directement et de manière substantielle à l’érosion de la confiance de la population
dans les masques qui sont distribués par le Gouvernement belge, alors que le port du
masque est une mesure importante de lutte contre la propagation du virus. Elle
affirme subir, outre un dommage moral pour l’atteinte portée à sa réputation, un
dommage matériel lié au manque à gagner sur les commandes ultérieures, en plus
des « charges en termes de mobilisation de ressources internes et externes (en ce
compris les frais de ses conseils et de communication) ». Elle demande, en
conséquence, de condamner la requérante à lui verser une indemnité de 5% du
montant total du schéma de livraison des semaines 20-23 du marché, soit un montant
de 6.187.000 euros.
Dans ses dernières observations, la requérante fait valoir que la demande
de la deuxième partie intervenante est fondée sur des éléments de fait (divulgations
dans la presse) qui relèvent du procès civil ou pénal (mensonge et divulgation
méchante) et sont étrangers à l’indemnité pour procès téméraire et vexatoire. Elle
ajoute que les informations diffusées dans la presse proviennent très largement de
sources qui lui sont étrangères (investigations propres des journalistes, dénonciations
par d’autres entreprises ou groupes d’entreprises ayant participé à la procédure
d’attribution de l’accord-cadre), ainsi que des documents provenant de la deuxième
partie intervenante, elle-même (informations sur la conformité au document
NBN/DTD S 65-001:2020, version 1.1 du 28 avril 2020). Elle conclut que les
difficultés rencontrées par la deuxième partie intervenante et l’atteinte qu’elle
conçoit à sa réputation résultent de son irruption sur le marché, des conditions dans
lesquelles la partie adverse a mené la procédure ainsi que des conditions dans
lesquelles elle exécute le marché.
XII.2. Appréciation du Conseil d’État
L’article 27, alinéa 1er, de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation,
à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains
marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions prévoit ce qui
suit :
« En cas de recours téméraire et vexatoire, à la demande de l'autorité adjudicatrice
ou du bénéficiaire de l'acte, l'instance de recours peut octroyer une indemnisation
adéquate à l'autorité adjudicatrice ou au bénéficiaire à charge du requérant. Le
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montant total des éventuelles indemnités ne peut en aucun cas dépasser 5 % du
montant hors taxe sur la valeur ajoutée du marché attribué […] ».
Le simple fait qu’une partie requérante défende ses droits et conteste des
décisions qu’elle estime irrégulières n’est pas indicatif d’un recours téméraire et
vexatoire. En l’espèce, la requérante, qui a introduit une offre, avait intérêt à obtenir
le marché litigieux. Elle dénonce, dans ses écrits de procédure, la violation de
dispositions pertinentes pour le contentieux des marchés publics et la plupart des
nouveaux griefs qu’elle soulève dans sa note complémentaire sont fondés sur des
informations dont elle a eu connaissance, en cours de procédure, postérieurement à
l’introduction de sa requête. Les offres des parties intervenantes, comme plusieurs
annexes au rapport d’attribution, pour lesquelles la confidentialité a été demandée,
lui sont restées inaccessibles. Elle n’a donc pas pu vérifier elle-même la réalité des
irrégularités qu’elle a cru pouvoir déceler en se fondant sur d’autres pièces du
dossier. Il n’est pas établi que la requérante aurait fait un usage téméraire et
vexatoire du recours visé à l’article 15 de la loi du 17 juin 2013 précitée.
Pour le reste, la demande de la deuxième partie intervenante est fondée
sur des éléments de fait qui relèvent du procès civil ou pénal et sont étrangers à
l’indemnité pour procès téméraire et vexatoire.
La demande fondée sur l’article 27 de la loi du 17 juin 2013 précitée ne
peut, en conséquence, être accueillie.
XIII. Confidentialité
La partie adverse demande, dans sa note d’observations, que les offres
reçues dans le cadre du marché litigieux soient soustraites à la consultation des
parties, dès lors qu’elles sont couvertes par le secret des affaires et qu’il s’indique, à
ce stade de la procédure, qu’il y ait encore une concurrence effective entre les
différents soumissionnaires. Il s’agit des pièces 1 à 38 de son dossier qu’elle qualifie
de « confidentiel ». En réponse à la demande formulée en ce sens par le membre de
l’auditorat chargé de l’instruction de l’affaire, la partie adverse a, en cours de
procédure, renoncé à sa demande de confidentialité pour les pièces 35 (rapport
d’attribution), 35.2 (sans ses annexes) et 35.3 (classement final). Elle demande, par
contre, le maintien de la confidentialité pour la pièce 35.1 et les annexes à la pièce
35.2, « étant donné que ces pièces reprennent des éléments des différentes offres »,
au motif qu’ « à ce stade de la procédure, il se pourrait que le pouvoir adjudicateur
doive recommencer la procédure » et que les entreprises concurrentes ne peuvent
être mises en possession des offres des autres soumissionnaires « portant atteinte aux
secrets commerciaux légitimes des entreprises et à une saine concurrence ».
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La première partie intervenante demande que le dossier administratif
déposé par la partie adverse soit déclaré confidentiel en ce qu’il porte sur son offre.
La deuxième partie intervenante formule la même demande en ce qui
concerne son offre, ainsi que les réponses fournies lors de la phase de consultation
du marché. Elle dépose, en annexe de sa requête, un dossier confidentiel composé de
quatre pièces, numérotées de 1 à 4, à savoir la confirmation adressée à la partie
adverse de son intérêt pour le marché, les réponses données lors des première et
deuxième consultations ainsi que son offre.
Dans sa note complémentaire, la requérante relève que la partie adverse
demande la confidentialité d’un grand nombre de pièces, en ce compris l’ensemble
des offres des deux parties intervenantes, sans distinguer les éléments qui justifient
effectivement la protection de la confidentialité. Elle explique que les écrits de
procédure et les pièces non confidentielles ont révélé des illégalités dont les indices
sont sérieux et déplore que le rejet de l’essentiel des pièces dans la confidentialité
contraigne le Conseil d’État à un travail de vérification que les parties devraient
mener elles-mêmes.
Si la requérante paraît mettre en doute la demande de confidentialité de
certaines parties des pièces déposées, à ce titre, par la partie adverse et regretter ne
pas pouvoir procéder, elle-même, aux vérifications nécessaires, elle ne demande
formellement l’accès à aucune pièce en particulier. En cours de procédure, la partie
adverse a renoncé à la confidentialité des pièces 35, 35.2 (sans ses annexes) et 35.3
de son dossier et le Conseil d’État a pu procéder aux vérifications utiles dans le
dossier.
Dès lors que la divulgation des pièces classées « confidentielles » n'est,
à ce stade, pas nécessaire à la solution du litige, il y a lieu d'en maintenir
provisoirement la confidentialité. Par ailleurs, conformément à l'article 26 de la loi
du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en
matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de
services et de concessions, il y a lieu d'ordonner la confidentialité des pièces 17,
17.1, 17.2, 17.3, 17.4, 20, 20.1, 22, 24, 24.1, 26, 26.1, 26.2, 26.3, 26.4, 26.5, 26.6,
26.7, 27, 27.1, annexées à la requête et relatives aux offres de prospection et à l’offre
finale de la requérante.
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PAR CES MOTIFS,
LE CONSEIL D’ÉTAT DÉCIDE :
Article 1er.
La requête en intervention introduite par la société anonyme de droit
luxembourgeois AVROX est accueillie à ce stade de la procédure.
Article 2.
La requête en intervention introduite par la société anonyme TWEEDS
& COTTONS est accueillie à ce stade de la procédure.
Article 3 .
La demande de suspension d’extrême urgence est rejetée.
Article 4.
La demande d’indemnisation pour recours téméraire et vexatoire est
rejetée.
Article 5.
Les pièces 17, 17.1, 17.2, 17.3, 17.4, 20, 20.1, 22, 24, 24.1, 26, 26.1,
26.2, 26.3, 26.4, 26.5, 26.6, 26.7, 27, 27.1 du dossier de la requérante, les pièces 1 à
38 du dossier administratif qualifié de « confidentiel », à l’exception des pièces 35,
35.2 (sans ses annexes) et 35.3 et les pièces 1 à 4 du dossier confidentiel de la
deuxième partie intervenante sont, à ce stade de la procédure, tenues pour
confidentielles.
Article 6.
L’exécution immédiate du présent arrêt est ordonnée.
Article 7.
Les dépens sont réservés.
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Ainsi prononcé à Bruxelles, en audience publique de la VIe chambre
siégeant en référé, le 3 juillet 2020, par :
Florence Piret,
conseiller d’État, président f.f.,
Katty Lauvau,
greffier.
Le Greffier,
Le Président,
Katty Lauvau Signature numérique de
Florence Piret Signature numérique de
Florence Piret (Authentication)
Katty Lauvau (Signature)
(Signature) Date : 2020.07.03
11:52:45 +02'00'
(Authentication) Date : 2020.07.03 11:00:27
+02'00'
Katty Lauvau
Florence Piret
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